Dans cette section on aborde certains points complexes de l'arbitrage, avec, quand c'est possible, des exemples concrets. Pour l'instant, un seul article ; celui sur l'application bien compliquée, dans certains cas, de l'article 6.9


Art. 6.9 et mat impossible

Un fait de jeu survenu en décembre 2019 souligne une des difficultés de l'arbitrage et nous conduit à commenter l'article 6.9 pour faciliter le rôle de l'arbitre.

À la 19ème ronde du championnat du monde blitz (3 minutes + 2 secondes d'incrément) qui se tenait à Moscou, le jeune iranien Alireza Firouzja rencontre le champion du monde en titre et n°1 mondial Magnus Carlsen. Malgré son jeune âge et plus de 200 points elo de moins, Firouzja domine son adversaire et arrive en finale avec 3 pions de plus, mais seulement 2 secondes à la pendule.

Une vidéo montrant la scène est disponible ici.

Le manque d'expérience conduit à un stress intense, la main qui tremble, des pièces qui tombent. Firouzja doit les replacer sur son temps (art. 7.4.1) et son drapeau tombe lui aussi. Plusieurs minutes de trouble s'ensuivent, pendant lesquelles Firouzja tente de convaincre l'arbitre que Carlsen ne pouvait pas gagner avec seulement un roi et un fou, et que le résultat doit donc être nul. En quelque sorte, il invoque a posteriori l'article 5.2.2 pour obtenir la nulle. C'est, malheureusement pour lui, inapplicable puisqu'il existe ici une suite de coups légaux permettant aux Noirs de mater. Mais c'est vrai que ce n'est pas évident à voir, et on pointe ici une des difficultés du rôle de l'arbitre puisque tous n'ont pas nécessairement le niveau leur permettant de résoudre ce type de problème en temps réel. Les ordinateurs ne sont ici d'aucune utilité puisqu'ils savent trouver le meilleur coup, mais pas la suite des pires coups qui permette à un joueur de se faire mater, alors que c'est comme ça qu'il faut interpréter la règle 6.9.

La vidéo indique que la partie est gagnée par Carlsen puisque que Firouzja peut promouvoir un pion en cavalier. C'est vrai, même si ce n'est pas la seule solution, comme on va le voir.

Cet article vise à aider les arbitres, en complétant les règles, en quelque sorte, de manière à ce qu'ils puissent identifier beaucoup plus facilement dans quels cas l'article 6.9, peut être invoqué pour déclarer la partie nulle.

Pour faciliter la rédaction, on va nommer Patrick le joueur qui est censé Perdre, parce qu'il a un déficit matériel. On appelle Gabriel le joueur qui est censé Gagner, mais dont le drapeau tombe. Dans la position Firouzja-Carlsen, Patrick a les Noirs, il va perdre1, sauf si le drapeau des Blancs tombe. Quand ça arrive, Patrick gagne s'il y a une possibilité de mater Gabriel. C'est nulle sinon.

L'article 5.2.2 nous dit que la partie est nulle dans les positions mortes, celles où aucun joueur ne peut mater. Ces positions sont assez faciles à identifier. Voir cet article à ce sujet. On s'intéresse ici aux positions où au moins l'un des joueurs peut mater.

Si Patrick a une pièce lourde (dame ou tour), il gagne au temps car Gabriel peut se laisser capturer toutes ses pièces, et Patrick peut alors forcer le mat.

S'il reste au moins un pion à Patrick, il peut le promouvoir en pièce lourde et gagne donc en cas de chute du drapeau de Gabriel.

Si Patrick a deux pièces, il gagne aussi. Mater avec deux fous, c'est facile, c'est plus difficile avec un fou et un cavalier, mais c'est possible, même avec la meilleure résistance de Gabriel. Rappelons que le fait de pouvoir forcer le mat n'a ici aucune importance. Ce qui compte, c'est de pouvoir mater techniquement, même avec le concours de son adversaire.

Mater avec deux cavaliers est aussi possible, grâce au concours de Gabriel. Par exemple, dans cette position avec le trait aux Noirs, 1... Cgf5 2. Rg8? Ce7+ 3. Rh8?? Chg6 ≠

Rappel : dans cette position, on pourrait croire que le prénom "Patrick" était mal choisi car il est en supériorité, mais les joueurs ont été baptisés au moment de la chute du drapeau, et il faut imaginer que quand Gabriel est tombé au temps, il avait une grosse avance matérielle, qu'il a sacrifiée pour les besoins de l'exercice.

En résumé, si Patrick a au moins deux pièces (en plus de son roi), au moins un pion, ou au moins une pièce lourde, il peut gagner au temps car il y a une possibilité de mater. Ne restent donc que les cas où Patrick n'a qu'une seule pièce légère, comme c'est le cas dans la partie Firouzja-Carlsen.

Cas n°1, Patrick a un cavalier

Patrick peut mater si et seulement si Gabriel a une autre pièce qu'une dame. Avec un fou, une tour, ou un cavalier, il existe, en effet, toujours une possibilité mat, comme illustré sur ce schéma.

Si Gabriel a un pion au moment où son drapeau tombe, ce pion peut se promouvoir en autre chose qu'une dame, et Patrick peut donc gagner au temps.

Cas n°2, Patrick a un fou

Si Gabriel a un fou de cases de l'autre couleur, il y a une une possibilité de mat. Comme il est rappelé ici. La finale rois + fous de même couleur est une position morte. Celle avec les fous de couleurs opposées ne l'est pas. Patrick peut aussi mater si Gabriel a un cavalier. Les deux cas sont illustrés sur ce diagramme.

Bien évidemment, Patrick peut gagner au temps si Gabriel a au moins un pion, qui pourrait se promouvoir en cavalier. En revanche, si Gabriel n'a que des dames ou des tours, Patrick ne peut pas mater avec son fou, et la partie est nulle si le drapeau de Gabriel tombe.

Dans la partie Firouzja-Carlsen, les pions blancs peuvent se promouvoir en fou, qui serait alors de cases de couleur opposée au fou de Carlsen, et c'est une autre façon de parvenir à une situation de mat.








Il y a une dernière situation où la chute du drapeau amène à une nulle par mat impossible, c'est quand il existe une suite de coups forcés qui amènent au mat de la part de celui dont le drapeau vient de tomber. Par exemple, dans cette situation où les Noirs viennent de jouer 1... Fc3+, si le drapeau des Blancs tombe, c'est nulle car les 2 seules suites possibles (2 Dxc3+ Dxc3+ 3 Fxc3≠ et 2 Fxc3+ Dxc3+ 3 Dxc3≠ ) mènent à une victoire des Blancs, le Noirs ne peuvent donc pas gagner au temps.

Certes, ce genre de situation se rencontre plus souvent dans les annales d'examens d'arbitrage que dans les parties réelles, mais ce n'est pas une raison de l'ignorer, en particulier si on souhaite devenir arbitre !

En résumé, on pourrait revisiter l'article 6.9 de la manière suivante :

En dehors de l'application (...) la partie est perdue par ce joueur. Cependant, la partie est nulle, si la position est telle que l’adversaire ne peut mater le roi du joueur par aucune suite de coups légaux. C'est notamment le cas dans les situations suivantes :

  1. la position est morte,
  2. une suite de coups forcés mène au mat de l'adversaire
  3. l'adversaire du joueur dont le drapeau est tombé n'a, en plus de son roi, que

 


1 Dans la partie Firouzja-Carlsen, la position est en réalité nulle, comme beaucoup de finales de fous de couleurs opposées

art. 5.2.2 La partie est nulle lorsqu'une position est survenue dans laquelle aucun des deux joueurs ne peut mettre échec et mat le roi adverse par une suite de coups légaux. On dit alors que la partie se termine sur une "position morte". Ceci met immédiatement fin à la partie, à condition que le coup amenant cette position soit légal et en accord avec l’Article 3 et les Articles 4.2 à 4.7.

art. 6.9 En dehors de l’application de l’un des articles 5.1.1 (mat) , 5.1.2 (abandon) , 5.2.1 (pat) , 5.2.2 (position morte) ou 5.2.3 (accord mutuel), si un joueur n’a pas achevé le nombre de coups prescrits dans le temps imparti, la partie est perdue par ce joueur. Cependant, la partie est nulle, si la position est telle que l’adversaire ne peut mater le roi du joueur par aucune suite de coups légaux.